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le rédactionnel dans la presse pour jeunes filles

Catherine Ternaux

[janvier 2001]
Longtemps la presse pour jeunes filles s’est adressée aux Suzette, aux Lisette, aux Capucine et autres Mireille dont elle cherchait avant tout à faire des femmes modèles, de « bonnes petites femmes ». Le rédactionnel très conventionnel de ces magazines ne variait guère d’un titre à l’autre et évolua dans le temps à la vitesse d’un fer à repasser avant l’invention de la vapeur.

Relevons d’abord que les revues françaises pour jeunes filles du début du siècle jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale ont massivement opté pour une terminaison guillerette de leur titre : La Semaine de Suzette, Lisette, Fillette, Bernadette... : cette connotation affectueuse et protectrice est à l’image du ton avec lequel la rédaction s’adresse aux lectrices. À partir des années cinquante-soixante, le choix des prénoms indique que les jeunes filles commencent à échapper à l’emprise de leurs aînées : Mireille, Nade, Line... : autant de frimousses qui ne sont plus des fillettes à éduquer, mais de jeunes personnes à la personnalité en droit de s’affirmer, même si parfois elles donnent sans originalité dans le standard midinette. On peut constater en tout cas que l’uniformisation des noms des revues - pour la plupart des prénoms féminins - est bien le reflet de l’uniformité des contenus.
Si l’imagination est quelque part au rendez-vous, il faut peut-être la chercher dans les différentes appellations de la petite dizaine de rubriques qu’on retrouve à l’identique d’un journal à l’autre : le billet-lettre-éditorial, le courrier, l’information ou reportage, la fiction, les jeux-divertissements, la couture, la cuisine, l’art de tenir sa maison ou le bricolage, les concours, rubriques-phares autour desquelles gravitent divers articles, tests, critiques et publicités.

les petites chéries

L’éditorial, qui est en réalité un cours de morale appliquée, s’appelle « Les billets de Tante Jacqueline » dans La Semaine de Suzette, « Causeries... » dans Bernadette, « Causette » dans Lisette, « Marie-Prudence » vous parle dans Nade, « Entre nous » dans Line et, rare et méritoire incursion du sexe fort, « Les cas de conscience de l’Oncle Jo » dans Capucine, car ce sont en effet généralement les tantes ou les marraines qui prodiguent leurs délicieux conseils à leurs chères nièces et filleules : garantes de la bonne moralité du journal, elles ont beaucoup de tact et savent se montrer tour à tour sévères ou tendres, toujours prévoyantes et de bons conseils. Ainsi « parle » Tante Jacqueline dans La Semaine de Suzette n°37 de 1929 : « Sur la plage, au bord de la mer, en excursion dans la montagne ou dans la campagne, il arrive mes chères petites nièces, que l’on se lie avec d’autres enfants, des enfants en somme inconnus. [...] Votre maman est moins sévère ici pour le choix de vos petites amies parce qu’elle sait que cela ne durera pas. [...] Mais il faut justement ne pas enlever à votre maman sa seule raison d’indulgence extrême en vous mêlant de poursuivre cette amitié-là… [...] Vous êtes, je le pense bien, assez fines pour reconnaître si cette fillette qui vous plaît est de même éducation que vous, comme le désire votre maman. » La leçon du jour est qu’il faut veiller à ne se lier qu’avec des filles de la même catégorie sociale. Elle sait bien enrober les messages, la chère Tante (comment ne pas prêter une oreille attentive quand l’allocution commence par « Mes chéries » ? même si la suite, « Aimez-vous balayer, mes filleules ? » n’augure pas d’un sujet réjouissant), et broder autour des qualités à cultiver et des vilains défauts à combattre. Oncle Jo dans Capucine est, lui, un filou qui sait se mettre les filles dans la poche. Voici comment le tonton s’y prend : il expose une situation avec un problème à résoudre, un cas de conscience. « Et vous jeune lectrice, qu’auriez-vous fait à la place de Brigitte ? » Et la jeune lectrice d’écrire sans tarder au journal afin de montrer « les qualités de cœur et de délicatesse qui caractérisent les petites filles de France qui lisent Capucine  ».

Dans Mireille, Tante Chiffon n’hésite pas à recourir à la bande dessinée pour mieux faire passer ses messages, voire à l’humour, frisant (volontairement ?) la caricature.

Le lien avec les lectrices est très entretenu, les journaux invitant beaucoup les fillettes à réagir : demande de courrier, d’avis, d’informations, de poèmes, compte rendus... Les lectrices doivent avoir le sentiment d’appartenir à une communauté : celle de la famille jusque dans les années cinquante, celle du « club » par la suite. Cela se voit particulièrement dans le magazine Bernadette, dont les jeunes filles catholiques du monde rural constituent la majorité des lectrices. Le titre, qui deviendra Nade en 1964, incite, par le truchement du « Club des amies de Priscilla » à faire connaître le journal et « à prier pour tous les membres du Club » (n°181 de 1964).
Le courrier est l’occasion de mieux connaître les lectrices. La rubrique est souvent consacrée à la recherche de correspondantes : « Petite Poste » (La Semaine de Suzette), « Sac à malices » (Fillette), « Le courrier de Marraine » (Lisette) ou « de Régine » (Nade), « Voilà le facteur » (Lisette). Les vrais noms des lectrices n’apparaissent pas, et les pseudonymes invitent, sinon au fantasme, du moins à la rêverie : Alouette des prés et des bois, Princesse turquoise, Petite Pinsonnette de 1913, Petite crevette rose... Reflets d’une autre génération, les pseudonymes du courrier de Liselle dans les années soixante laissent imaginer des lectrices un peu plus remuantes que leurs aînées, tels Twist-Twist, Domino-Minou ou encore Banjo-Girl.
Le rôle du courrier est de répondre aux questions, parfois angoissées, des jeunes filles : « Ma sueur et moi allons avoir une grande chambre et ne savons comment disposer nos divans » (Lisette 1948). Il faut savoir parfois aller au plus simple, et répondre à Claudine M. (Lisette n°52, 1962) demandant « Pourriez-vous m’expliquer comment m’y prendre pour faire une protège-selle de bicyclette ? », qu’elle en trouvera de toutes faites chez tous les marchands de cycles.
Signe des temps qui changent, à partir des années soixante, ce n’est plus la tante mais l’amie qui répond au courrier. Mireille, Céline, Paul et Mic doivent faire face à des questions déjà plus embarrassantes car la féminité ose s’exprimer : « J’ai 13 ans. Je lis des romans-photos et je porte des bas. Suis-je trop jeune ? » (Line 1963) ; la réponse est « oui » et propose à l’adolescente de revenir aux « romans instructifs et enrichissants » et aux socquettes « tellement plus pratiques et agréables ».
Nette évolution des questions à partir des années soixante-dix, la jeune Dominique n’hésite pas à déclarer « Je veux être coureur automobile », Agnès s’enquiert franchement « Comment trouver un mari ? » et Valérie se désole : « Maman attend depuis 8 mois un enfant. J’ai 12 ans. Quand je lui pose des questions sur ce qui se passe elle ne répond pas ». Comptons sur Régine pour fournir quelques pistes... Ce sont assurément les lectrices qui poussent à l’évolution et à la modernisation des contenus rédactionnels des journaux pour jeunes filles, qui ont toutefois le mérite d’être à leur écoute. Il en va d’ailleurs de leur survie.

ce que fillette savait

Instruire en divertissant est le mot d’ordre des magazines pour jeunes. Mais instruire une jeune femme au début du siècle, cela consiste à lui apprendre principalement la cuisine, la couture et les bonnes manières. Comme une femme ne doit pas non plus être sotte, ni boniche ni potiche, on prend soin de lui proposer d’apprendre moultes saynètes à jouer, poésies, chansonnettes et monologues, véritables tartines de texte à servir à l’heure du thé. Au fil des ans, on ira jusqu’à fournir un léger vernis qui donnera à mademoiselle un peu de conversation à table, dans le style Le saviez-vous ? La rubrique « Petite moisson » de La Semaine de Suzette (1910) aborde des sujets divers et variés : d’où viennent les inondations, la tradition du carnaval, faut-il croire aux rêves ?... A noter que les anecdotes choisies ne sont pas toujours faciles à placer « À Hereford (Angleterre) une poule de race wyandote, âgée de 4 ans, fait l’étonnement des experts. Née blanche, elle est devenue noire à 2 ans et maintenant, elle change de couleur chaque fois qu’elle mue ». (Fillette, 1954). Mais si on y arrive, succès garanti.
Des reportages un peu plus conséquents donnent fréquemment dans l’exotisme. Passons rapidement sur le compte rendu de la visite de la jolie et gentille princesse Elizabeth en France (La Semaine de Suzette, 1948) pour découvrir la vie de nos « petites sœurs lointaines », d’Afrique ou d’Inde, qui savent souvent se contenter de si peu (message reçu ?), Fillette, en octobre 1954, propose un documentaire sur la chasse à l’outarde, cet oiseau d’Afrique dont il suffit, pour l’attraper, de se déguiser en calaos. Que de rêve pour les chères têtes blondes !
Les sujets de Bernadette quant à eux naviguent allègrement entre ciel et terre, portant aussi bien sur l’élevage des pintades et cochons que sur la vie des saintes et des religieux. On notera qu’en règle générale le niveau éducatif des revues baisse au fil du temps, et le reportage sur « les caniches de Lyne Lamar » dans Capucine en 1955 marque peut-être une belle étape dans cette évolution. Mais ne soyons pas mauvaise langue, les caniches étant, comme chacun sait, des chiens savants. Justement, n’est-ce pas cette sorte de dressage, pardon, d’éducation, qui emplit les colonnes de la presse pour jeunes filles ? On dirait aujourd’hui « conditionnement »).
À partir des années soixante, la mode est au show-biz. Le beau Sacha Distel fait recette, Richard Anthony caracole en seconde position, puis vient le peloton des vedettes du cinéma, de la télévision et de la chanson. La photo remplaçant bientôt l’illustration, il est facile de meubler avec des portraits, soit d’Antony Perkins, soit de chatons persans, dédicacées si possible aux lectrices du journal (dans le premier cas seulement). Dans les années soixante-dix, en parallèle à la libéralisation des mœurs, la femme se réapproprie son corps. On trouve désormais des reportages sur la naissance des enfants. Dans Nade en 1973, un article sur les règles propose d’en parler « sans gêne, sans mystère, sans fausse honte » : le sujet intéresse plus certainement les jeunes filles que la chasse à l’outarde.

rêvons un peu

Romans à suivre et nouvelles occupent une place importante dans le rédactionnel de la presse pour jeunes filles. La Semaine de Suzette publie entre cinq et dix romans par an, dont le thème principal est la famille. Les pères sont souvent absents, les mères souvent malades ; grands-parents, tantes et oncles, gouvernantes et domestiques sont également les protagonistes des drames et comédies. Voici, exemplaire, un extrait du « résumé des chapitres précédents » du roman de Marie de Chateau-Verdun, « Le Mystère du voile bleu », publié dans Lisette 1924 : « Pendant sa convalescence, Mme Le Santer envoie ses enfants, Jacques et Nadette, au bord de la mer, sous la garde de Martine, leur vieille bonne. Jacques, intrigué de voir leur petite voisine, Solange de Baudran, toujours voilée, soulève le voile de la fillette pendant son sommeil et attrape les oreillons. » Parfois les enfants sont orphelins et les repères familiaux perturbés. Preuve qu’on nage dans la fiction, les tantes peuvent être très méchantes : « Monette a perdu ses parents dans un naufrage. Elle s’enfuit de chez sa tante qui menaçait de se débarrasser de son chien Tom » (Line, juin 1955).

Les fictions consistent en de belles histoires édifiantes : les jeunes filles s’y dévouent à tour de bras pour de belles causes, comme celle de « faire éclater » l’innocence d’un père. Personnages et événements sont là pour mettre en scène le courage : « Josette était une brave petite fille de douze ans, aînée de quatre frères et sœurs dont la maman peinait durement pour que rien ne manquât au foyer ». Les contextes historiques et géographiques offrent des variations infinies ; l’histoire peut se situer au Moyen-Age, au Far West, dans la Rome antique, en Inde ou en Afrique, et verse alors sans complexe dans le « typique » : « Il était une fois, dans Alger la Blanche, une petite fille appelée Fatima dont le père, un nommé Ali, était brodeur de babouches ». Au début du siècle, le ton est parfois proche du conte, avec intervention de fées et de génies. Au fil du temps, l’âge moyen des lectrices augmentant, le genre des histoires se modifie : davantage d’aventure, d’enquêtes, d’espionnage et surtout, à partir des années 60, plus d’intrigues sentimentales. Le titre de la nouvelle « Emmène-moi sur ton scooter » (Line 1961) est tout un programme. Dans les revues où le lectorat reste jeune, l’héroïne n’est pas directement au cœur des tourments amoureux, elle est plutôt témoin et participe à l’intrigue en cherchant à réunir ceux qui s’aiment, avec l’aide, souvent précieuse, d’un petit chien (quand ce n’est pas le dit caniche qui prend lui-même « la parole » pour relater l’histoire). L’amitié a toujours la part belle dans ces récits.
Bientôt les romans-photos et les films racontés font leur apparition mais les textes gardent toutefois une place importante dans les journaux. Il est bien connu que les filles lisent davantage que les garçons.
La poésie quant à elle passe difficilement le cap de la Seconde Guerre mondiale. Fraîche et légèrement teintée de morale, elle formait un répertoire dans lequel la fillette pouvait puiser pour offrir une gracieuse récréation à sa maman. Il y était souvent question de fleurs, de lune et de vent, de petits bonheurs et autres animaux charmants. Par la suite, les poèmes édités ne sont plus proposés par le journal mais par les lectrices elles-mêmes s’essayant à exprimer, en bouts rimés, les questionnements de l’adolescence.

la femme parfaite...

...doit savoir coudre, cuisiner, décorer son intérieur, effectuer quelques menus travaux manuels, tout en veillant à rester séduisante. « De La corbeille à ouvrage » dans La Semaine de Suzette en 1910 à « La garde-robe de Mireille » dans Mireille en 1960, les jeunes filles abandonnent progressivement la broderie et la préparation du trousseau pour apprendre à confectionner des vêtements à la mode. Coudre pour la poupée est une activité qui a longtemps été prisée, la plupart des journaux pour fillettes proposant à l’achat ou en cadeau une Bleuette, une Dalia ou une Bella, sortes de mascottes et objets d’adoration pour les « petites mamans » que sont les lectrices, Lorsque le lectorat commence à être un peu âgé pour jouer à la poupée, la rubrique couture propose alors de tricoter pour le baigneur de la petite sœur, quand ce n’est pas directement pour la petite sœur. Dans les années 70, le « patron » fait son apparition, véritable fleuron de la presse féminine, grâce auquel on peut réaliser robes, jupes et pantalons pour « être dans le vent », faire des bijoux-fantaisies, équiper une arrière-cour, habiller joliment les cintres, récupérer le fond d’une casserole brûlée, et le récurrent « comment enlever les taches de... », tous ces petits trucs qui rendent la vie des femmes si mystérieuse, si captivante, sont dispensés par la presse, pour le plus grand bonheur de « la femme d’intérieur ». La femme qui se sent plus « d’extérieur » peut apprendre à « s’occuper à la campagne » ou, dans Bernadette à « bien entretenir son potager ».
Imagine-t-on un journal destiné au sexe féminin sans recettes de cuisine ? Non, bien sûr, et les possibilités sont vastes en ce domaine, quasiment infinies, de la béchamel au gâteau au chocolat, en passant par la salade de bœuf bouilli, Dans Fillette, cerise sur le gâteau, elles sont signées Tante Marmelade. Supplice auquel les femmes doivent s’habituer dès le plus jeune âge, une appétissante recette de crème veloutée au caramel peut côtoyer un article intitulé « Attention à votre ligne ». Très discret au début du siècle, le culte de la beauté prend une place grandissante ; Fillette propose des modèles de coiffure et des conseils pour conserver un joli teint, mais en quelques lignes seulement, illustrées d’un dessin. Il n’était pas vu d’un bon œil de trop s’occuper de son apparence. La préoccupation de la mode gagne du terrain et de l’espace rédactionnel, faisant l’objet de longs articles, voire de dossiers. L’utilisation, à partir des années cinquante, de la photo au lieu de dessins, a sans doute un impact très fort sur la relation de la lectrice avec son journal. Plusieurs journaux demandent alors aux lectrices d’envoyer leur photo : celle qui ressemble le plus à l’héroïne du journal (mise en scène dans une bande dessinée par exemple) gagne le concours. Il est loin le temps des concours exigeant des connaissances et de la culture ; il suffit désormais d’envoyer une photo de son chien pour l’élection du « plus beau toutou ». On n’y gagnera plus un mouchoir brodé mais son poids en poupées. La quantité ne remplacerait-elle pas la qualité ?
La mission d’éducation, au fil du temps, passe à l’arrière-plan, la presse cherchant surtout à flatter le goût de ses lectrices. Ce n’est manifestement plus les parents qu’il faut convaincre d’acheter, mais la jeune fille elle-même qui a son mot à dire, quand ce n’est pas elle qui sort l’argent de sa poche. Les rubriques suivent le mouvement général de la société : de l’éducation à la consommation, les enjeux ont changé. Les publicitaires ne s’y trompent pas, travaillant leur cible dès le plus jeune âge. Tandis que les premières publicités dans les journaux du début du siècle étaient destinées aux mamans (corsets juvéniles, médicaments de type fortifiants ou laxatifs - dont le remarquable et authentique sirop Deschiens à l’hémoglobine contre la nenrasthénie et la consomption -savon pour maigrir...), elles s’adressent rapidement aux jeunes filles : poupées, stylos, produits pour la cuisine, robes de mariées...
Indémodable, la publicité pour le chocolat, sous toutes ses formes, traverse impérialement le siècle. Il faudrait faire une étude plus poussée pour savoir si la gourmandise est plus spécifique aux jeunes filles ou si on en retrouve également l’incitation dans la presse pour garçons.

Article paru dans le numéro 6 de 9ème Art en janvier 2001